GUSTAVE
Une bande de po(è)tes

 

J’ai découvert GUSTAVE en février 2018 (N°71). En ce temps-là, car il s’agit déjà d’une autre époque, le virus de la COVID n’était pas révélé (existait-il ?) et nous nous dirigions lentement mais sûrement vers un libéralisme anglo-saxon et Thatchérien de la plus belle eau. En sommes-nous sortis ? C’est un autre débat qui dépasse largement le cadre de cette chronique et qui ferait, mais j’en suis coutumier, de trop grandes digressions.

Revenons à GUSTAVE qui se voulait, à cette époque, être le lien entre un poète, Stéphane Bataillon, et ses lecteurs. En l’occurrence, j’en étais depuis la parution de « Où nos ombres s’épousent » (Éd. Bruno Doucey, 2010 – Réédition augmentée en 2016). En fait, pour être précis, j’avais déjà « repéré » son nom en 2008 à l’occasion de la sortie de « Poésies de langue française, 144 poètes d’aujourd’hui autour du monde » publié aux Éditions Seghers et dont il était l’un des maîtres d’œuvres (avec Sylvestre Clancier et Bruno Doucey).

J’avais, je ne sais plus comment, reçu (est-ce bien le bon mot ? « eu accès à» serait plus juste) ce numéro 71, sous-titré « Mensuel d’action poétique » et je m’étais étonné de ce singulier. D’ailleurs, deux numéros plus tard, ce sous-titre disparaitrait au profit de « Journal poétique », puis, pour le numéro 75 « Mensuel poétique instantané » pour se stabiliser quelques temps sur la formule « Mensuel poétique ». Ces hésitations me plaisaient. Elles montraient, pour moi, la difficulté de qualifier l’objet poétique offert en lecture. Relevait-il du champ militant ? Du champ de l’intime ? Du simple périodique ? Plus tard, ces hésitations reviendront et GUSTAVE sera sous-titré « Lettre poétique », « un simple journal de poésie », avant de devenir « l’hebdomadaire poétique », en se positionnant comme l’unique hebdomadaire du secteur, ce qui, sauf erreur de ma part, était (et reste) vrai. Pour le N°100, il se transforme, en changeant sa périodicité, en « quinzomadaire de poésie », formule qui ne durera que le temps d’un été, GUSTAVE redevant un « mensuel de poésie » à partir du N° 104, avec parfois des mois un peu longs puisque le N°105 parait début novembre et le 106 fin décembre 2020 (daté Janvier 2021ce qui en fait une revue d’anticipation).

Dès le début, GUSTAVE fut pensé comme un périodique gratuit à diffusion libre. Un objet dématérialisé comme un lien favorisant une  « proximité poétique » autour de Stéphane Bataillon qui, jusqu’au N° 91 était le seul contributeur « textuel », soutenu par les illustrations de son complice Saint-Oma dont le trait me rappelle furieusement le travail de certains de mes amis illustrateurs des années ’70 ou le stencil servant à nos fanzines imposait l’usage de certaines techniques graphiques.

La « gratuité » n’est pas un concept dont je raffole vraiment, surtout en matière de production artistique. C’est nier, le terme est un peu fort, disons dévaloriser le travail de l’artiste et, pardonnez-moi cette approche un peu syndicaliste (voire évangéliste) mais, pour moi, tout travail mérite rétribution puisque « l’ouvrier mérite son salaire » (Luc 10:7). Nous pourrions ouvrir ce débat, je le ferai prochainement, mais disons simplement que lorsque la gratuité est l’un des éléments d’un échange (théorie de la réciprocité), comme à l’origine du projet GUSTAVE (je te donne ma revue, elle est la vitrine de mon travail, tu achètes mes livres), je comprends l’utilité de la gratuité comme outil de promotion. D’ailleurs, c’est ce que nous faisons également avec cette chronique et, plus largement, le développement de notre site.

Mais revenons à GUSTAVE, nous parlerons marketing et stratégie de communication ailleurs, en un autre temps.

De cette première période, je garde quelques courts, très courts poèmes, parfois des aphorismes comme

L’aventure

c’est de ne pas savoir

pour quels mots, ce matin

nos forces s’uniront.

Ou

Au fond des solitudes

effleurer une confiance

et pouvoir en douter.

Souvent des Haïkus, même si le formalisme des 17 mores n’est pas toujours respecté

Tu reviens du désert

bardé de ton silence

Je scrute ton sourire.

Chenille dressée

à l’attente du printemps

Mousse dans le jardin.

Sur un vieux vélo Peugeot

je croque une graine de maceron

Parfum de vacances d’outre-temps.

Ils restent dans la tradition du Haïku français telle qu’elle se distingue depuis Julien Vocance.

Quelques proses s’invitent aussi, au gré des numéros, comme des respirations aux silences des poèmes :

22/12 jour d’hiver. asymétrique. déflagration de blanc. bruit sourd. côté gauche atteint. 12 ans que. 12 ans que tu. loin. proche. au cœur. de mes jours. de mes nuits. du temps aboli. vitesse supersonique. Je t’entends dire bonjour. rire. me dire. je t’aime. lui raconte. Lui explique. il. me dit : “c’est galère, le cancer, hein?”. In a manner of speaking / I just want to say. parler de toi. un jour d’hiver. symétrique. explosion de lumière. côté gauche. moins éteint.

La phrase est minimaliste. Injonctive.  Fragmentaire. Parcellaire. Poème du souffle brisé plutôt que prose. L’absence de capital rend le point séparateur comme provisoire. Un point augmenté. Le fameux « point en haut » des grecs, des arabes et de Louis Jouvet.  Une autre approche de la respiration. Syncope des systoles.

Parfois, l’éditorial se fait poème, comme pour le N° 82 dont la seule phrase « Une poésie exercée comme écologie de la langue, dans le silence des pages, des écrans, inscrite pour résonner. » explique en grande partie le travail d’abrasion du langage mené par Stéphane Bataillon. Retirer tous ces intrants qui polluent la phrase au risque de troubler le sens, ou d’en retrouver l’origine, selon. « L’une des actions possibles pour permettre aux mots de retrouver leur poids, leurs sens, leur dignité. De reporter la langue au niveau du sacré sans système à défendre. »

Il s’agit, bien sûr, d’un possible et non d’une vérité. Un « possible » qui résonne particulièrement dans le travail sur les formes brèves. Laisser le lecteur compléter l’expérience et se fier à sa sensibilité. Il s’agit là d’une catharsis au sens esthétique et aristotélicien du terme. Un retour aux préceptes et aux archétypes. Le « sacré », comme antithèse du « profane » et non comme valeur politique, est naturellement au cœur de ce dispositif puisque nous sommes hors « système à défendre »   

Enfin, il y a des « poèmes », aux formes plus habituels. Et si, sur cette période, je ne devais en retenir qu’un, ce serait celui-ci :

GRATIFICATION

Tu postes. Tu tweet. Tu poke. Tu follow

Tu estimes. Tu aimes. On t’estime. On

t’aime. Tu

Like

Tu repostes. Tu attends. Un retour

que l’autre poste. En retour de

Like

Tu te vexes. T’impatientes. Tu

t’angoisses. Tu profiles tous les

autres. Eux qui ont tous des

Like

Tu rerepostes. Tu reretweet. Tu dépoke,

Tu unfollow. Mets à jour ton statut pour

leur dire que t’es bien. Bien là. En

haut. D’eux. Du fil actualisé de leurs

putains de

Like

Mais tu n’en peux plus

tu ne peux plus suivre

la course au

Like

Alors tu te dénudes. Mais ça ne suffit

plus. Alors tu brûles. Mais même ce feu,

ne brille plus. Aucun

Like.

Il y a une colère, une force, ici qui m’a surpris et qui est un « pas de côté », ce me semble, dans le travail poétique de Stéphane Bataillon. Ce n’est pas tant dans la forme ou dans le vocabulaire mais dans l’intention, dans l’adresse. Ce poème observe et décrit l’acte d’un(e) autre alors que la grande majorité des poèmes de GUSTAVE première période, et, en général, de l’œuvre de Stéphane Bataillon, relève de l’intime ou de l’extime. Du regard de soi sur soi au regard de soi sur l’autre et, parfois, du regard de l’autre sur soi. Et puis, ce poème « raconte » quelque chose, avec une continuité temporelle, une progression, une chute. Le contraire d’une « poésie exercée comme écologie de la langue ». Ce n’est pas la première fois, plusieurs des poèmes proposés sont aussi des narrations mais rarement avec une temporalité si affirmée. Si je prends un autre texte que j’aime beaucoup :

La vague

Pour Éléonore et Pascal

À l’écoute d’une vague

on se rapproche tout bas

apprivoisant nos peurs

et nos désirs d’enfants

À l’écoute d’une vague

on récolte le sel

pour déguster nos rêves

À l’écoute d’une vague

on s’échange ces silences

qui disent tout de nous

À l’écoute de cette vague

qui nous as submergé

on embrase deux mondes

se rencontrant enfin.

Nous sommes dans une temporalité « arrêtée », un « instantané ». Une photo. Alors que GRATIFICATION est un film. Et même un fil noir. Un drame de la solitude lorsque La vague est un instant partagé.

À partir du N° 92, GUSTAVE se transforme et, de lien entre un auteur et son lectorat, il devient un « magazine ». Ce changement coïncide avec l’ouverture de la période de confinement liée à la politique sanitaire mise en place pour lutter contre la pandémie de la COVID et, autre occurrence, le changement de périodicité où GUSTAVE de mensuel devient hebdomadaire. Stéphane Bataillon s’en explique dans son éditorial en ces termes :

 « … Alors, comme d’habitude en période d’apocalypse, appeler ce qui nous reste à la rescousse : la parole. Le poème. Pour nous aider à voir ce qui se passera en nous, d’abord. À discerner les chants et à les entonner. Alors, on s’est appelés ce week-end. Et on a décidé, rencontres de notre Printemps annulées, de ne pas baisser les bras. De vous offrir ça. Un hebdomadaire de poésie. Tous les lundis.

Rien que ça. Pour entrer dans la ronde. Et tenter une danse malgré les catastrophes. »

La pagination augmente un peu et passe de 4 à 5 pages. GUSTAVE accueille alors

Aurélia Lassaque, Poétesse occitane que j’avais eu le plaisir de découvrir dans les anthologies Voix Vives » (2013, 2015, 2017 et 2020) et de retrouver dans d’autres anthologies comme Courage ! ou L’ardeur (aux Éditions Bruno Doucey). Elle a publié plusieurs ouvrages, dont une petite dizaine de livres d’artistes, et trois recueils :

Cinquena sason (Édition Letra d’oc – 2006)

Pour que chantent les salamandres (Éditions Bruno Doucey – 2013)

En quête d’un visage (Éditions Bruno Doucey – 2017)

Ici, elle livre un inédit qui m’a particulièrement touché et dont je ne peux m’empêcher de vous livrer un extrait :

Toi qui as vu le sommet des montagnes

Toi qui sais comme elle crisse, la neige

Remonte jusqu’à la naissance

De ma source

Pose tes lèvres à l’échancrure

Que je t’abreuve

D’un mirage

 Puis elle reviendra dans le N° 95 pour la traduction d’un poème de Zingonia Zingone et dans le N° 100 avec une courte prose.

Alexis Bernaut, qui deviendra un habitué (N° 93, 94, 96, 100, 101, 103, 104, 105) dont j’apprécie l’humour et la sensibilité :

LA MÉSANGE

Une mésange est venue

toquer du bec sur la vitre

Interrogeant le son

la résistance

elle insistait

L’oiseau sans doute

ne sait-il rien du verre

Mais nous aussi nous connaissons

ces transparences

qui nous interdisent

Il a publié en mai dernier « un miroir au cœur du brasier »  chez Le temps des cerises Éditeurs. Une très belle découverte pour moi.

Florence Valéro, qui reviendra périodiquement (N° 94, 96, 100 et 102) et qui a publié, notamment, Où je dors de te méconnaitre et Contre la tempe des pierres aux Éditions de L’arbre à paroles, ou encore L’instant des fantômes chez L’herbe qui tremble Éditions. Je lui consacrerai bientôt une chronique « découverte » tant son univers me touche. En attendant, pour le plaisir, un petit inédit proposé dans le N°92 de GUSTAVE :

TOURNER EN ROND

tourner en rond

au bord des fenêtres

toujours au bord

comme un silence

et rien d’autre dans mes yeux

que tout

à raconter

Bruno Doucey, que je ne présente plus, guest de ce numéro et du suivant, et qui nous livre deux textes sur la relation à l’autre : COÏNCIDENCES et RENCONTRE dont j’extrais ces quelques vers « Dans la ville en archipel / Le bateau des mots / Prend langue avec l’avenir. » qui me renvoie à la fonction première du langage, communiquer.

Arianne Lefauconnier, futur contributrice régulière de GUSTAVE où elle apparait dans les N° 94, 98, 102, 104 et 105. Elle n’a, à notre connaissance, pas encore publié en recueil ou en Anthologie mais cela ne devrait pas tarder tant son vers et sa prose sont profondément personnels.

SE RETROUVER

dans des lieux sombres on se retrouvera. dans des lieux sombres ma peau phosphorescente te guide jusqu’à l’éveil. il fait nuit, les bars sont fermés, viens chez moi. j’aurai pour toi des mots tendres et des caresses à faire passer les saisons. plus rien n’existe. je verserai des vins d’ailleurs entre tes lèvres. n’oublie pas de m’embrasser. n’oublie pas les corps dans les caves, les corps dansant, les corps qu’on déshabille. tout reviendra. viens me chercher. nous traverserons l’hiver dans des chambres chaudes où ils ne nous trouveront pas.

Et puis, bien sûr, pour organiser tout cela, le duo Stéphane Bataillon et Saint-Oma, Saint-Oma qui nous livrera un épisode, parfois plusieurs, d’ONDE DE CHOC par livraison jusqu’au N° 105.

L’équipe accueille de nouveaux auteurs régulièrement. Certain(e)s deviennent des habitué(e)s.

Orianne Papin arrive au N° 94 et est présente dans presque tous les numéros (sauf N° 98, 102, 103 et 105).  Je l’ai retrouvée avec plaisir dans le Polder 185 de la revue Décharge / Gros Textes pour un recueil intitulé « Poste restante ». Elle nous livre ici de petites scènes « quotidiennes », prétextes à une poésie délicate, proche de ces instants fugitifs où l’on rencontre « l’autre », parfois inconnu, souvent aussi perdu que nous.

ASTUCE

Perds-moi loin de mon amour

juste le temps d’un poème :

tu sais bien qu’il n’y a

que dans l’espace

entre toi et moi

que les mots

me trouvent.

Yves Leclair, lui, s’invite à partir du N° 93. On le retrouve ensuite dans tous les numéros sauf le N° 100 (peut-être était-il en vacances ?).  Yves Leclair est un auteur d’importance, (voir son Wikipédia) et plus d’une quarantaine d’ouvrages publiés dont une bonne vingtaine de recueils poétiques.

Ici, à partir du N°94, il propose une suite de texte intitulée « Exercice de taologie quotidienne ». Très souvent proposés sous la forme à peine modifiée de Tanka (inversé ou non), ces exercices tendent à rapprocher l’instant de la sensation. Ce que l’on voit, ce que l’on ressent. Dans les formes « courtes » le Tanka est celle qui me touche le plus, sans doute parce qu’elle est plus « directe » que le Haïku.

le pigeon haut perché

sur le rond capuchon

du réverbère

tourne la tête

à droite à gauche

Maïa Brami elle aussi apparait pour la première fois dans le N° 93, qui est sans aucun doute le numéro qui matérialise la transformation de GUSTAVE en « magazine ». Elle y présente un poète américain, inconnu de moi : Pierre Boening-Scherel. Puis elle revient dans le numéro 98, toujours comme traductrice mais cette fois d’une poétesse anglophone : Charlotte Leport. Est-elle anglaise ? galloise ? écossaise ? irlandaise ? américaine ? sud-africaine ? australienne ?… Comme j’aime bien le style de Maïa Brami, je me laisse prendre aux rythmes réinventés de la traduction.

Let me be your ark

Night and day

Sailing on through shadow

Of ravens wing-

Laisse-moi être ton arche

Nuit et jour

Voguant au travers l’ombre

Des ailes du corbeau-

Puis, dans les numéros 100, 102, 103, 104 et 105, elle nous propose ses propres rythmes avec, notamment, une très vive déclaration d’envie dans ce poème-ci :

S’ASSUJETTIR

Devant sa jeunesse sage, sa verte vigueur

L’envie d’effleurer son cœur

Savoir d’instinct que le heurt en sera solide

Étouffé comme celui d’une pendule rustique

Vouloir s’assujettir à la ligne tendue de ses épaules

Vouloir s’assujettir à sa force

Basculer à la renverse, sciemment se laisser piéger

Pour mieux le plier à mon désir

Dans ses yeux neufs, sous ses grandes mains

Me refaçonner

Avide

Ce poème a dû également plaire à GUSTAVE qui le propose en page 10 et en page 15 de son numéro 104. Qu’il se rassure, je l’ai lu deux fois avec le même plaisir.

Maïa Brami est l’autrice d’une vingtaine ouvrages (romans, romans jeunesses, nouvelles, poésies, essais, beaux livres…) et a collaboré à plusieurs projets collectifs. Pour ma part, je mettrais volontiers en avant le très sincère « Cocteau à Milly-la-Forêt – Lettre au poète » chez Belin (2014) parce que, s’il faut une raison, Cocteau m’accompagne de toujours.

Tom Buron nous propose un court poème dans le N° 93 puis revient pour le N° 100 avec, en guise de cadeau, une ballade d’attrape-cœur adolescent et de FEUTRE BLEU en Bruxelles. Nous le retrouverons au sommaire des numéros 104 et 105, installant ses pénates et son style si proches des surréalistes et des écritures semi-automatiques (à la Kalachnikov en fait).

SCORIES

Escale des communiantes

Et des sisyphes indigènes qui

Mettent le cap vers les profondeurs

Puis rendent leur vin sucré aux racines brunes

Creusent loin au sein de tes fragments d’embrassement

Accouchent d’une chair obsidienne peignent leurs cheveux

De ta lumière bronze en tigres éborgnés sur tes cimes démentes

Nulle mer nulle rivière nul océan nul frère nul dieu il est temps d’avaler les

Charbons et de nous faire stratovolcans                                       en vérité il est temps

Merci à GUSTAVE de me l’avoir révélé, je ne le connaissais pas.

Tom Buron a son Wikipédia. Il a notamment publié en 2016, chez MaelstrÖm, « Le blues du 21ème siècle » étendard d’un certain underground parisien (sincèrement, je ne sais pas ce que cela veut dire…). Il faudra que je le lise, l’extrait en ligne me plait bien. Il a la tonicité des chansons d’Hubert-Félix Thiéfaine.

Claire Kalfon, enfin, rejoint GUSTAVE pour le N° 94. Elle reviendra 7 fois en 12 occurrences (N°97, 99, 100, 101, 103, 104 et 105) ce qui la place dans le quatuor de tête avec Maïa Brami, Yves Leclair et Alexis Bernaut. Elle apporte à GUSTAVE une spatialité ancrée entre un ciel et une terre de solitude. J’y retrouve l’ambiance des toile d’Edward Hopper, où le vent, la chaleur, les éléments laissent les mots à l’intérieur de nous, fleurs encore en oignons. 

ICI ET POURTANT

Les bretelles de l’horizon

Ont lâché

Terre et ciel

Étendues et bordures

Tout se confond

Tout se répand

Et vibre

De l’absence de limites

Claire Kalfon publie depuis quelques années maintenant, en revues et en recueil. Chez Unicité, elle a publié « Ici et pourtant » (2020) et « Poèmes des intervalles » (2019). Son premier recueil « Delta » est paru aux Éditions Encres Vives en 2016.

Au fil des numéros, d’autres poètes sont venus, une fois, deux fois, trois fois, présenter leur travail. Je ne peux pas tous les citer, qu’ils me pardonnent, je les ai tous aimés car je suis Morfal et j’aime tout. Je garde de ces lectures leurs noms en mémoire, ils me reviendront en d’autres occasions.

Et demain ?

La transformation de GUSTAVE s’est accompagnée d’une augmentation de la pagination qui des 4 pages originelles a évolué jusqu’au 16 pages du N° 100, ce qui a créé un nouvel appel à contributions. Après, le format revient à 8 pages, puis 10 puis 15 puis 8… En fonction, je suppose, des poèmes reçus et des envies de publier, GUSTAVE varie. C’est l’avantage du support. J’ai suivi ces évolutions avec un plaisir toujours renouvelé, l’attente aiguisée de l’incertitude, quel format ? Quels poètes ? Quelle périodicité ?

Cependant, l’éditorial du dernier numéro (N° 106) définit de nouvelles priorités avec un retour à la pagination d’origine, quatre pages et un nouveau sous-titre : « Bref mensuel de poésie ». Il est vrai qu’entre le N° 91 et le N° 105, les poèmes se sont développés et la forme « courte », voire « très courte » n’apparaissait presque plus. Cela, personnellement, ne me gênait pas, j’aime tout je vous l’ai dit, mais je comprends cette envie de revenir aux racines du projet.

Cela dit, « les racines du projet » étaient de créer un lien entre Stéphane Bataillon et son lectorat, il en était le maître d’œuvre et le seul artisan textuel. L’ouverture à d’autres voix a largement modifié ce projet initial. Est-ce à dire que GUSTAVE va redevenir une « simple lettre » ? Ou que le choix éditorial est d’être un mouvement du « court » ? Du « bref poétique » ?

Il existe déjà des revues consacrées aux formes brèves : La revue du Tanka francophone par exemple, ou la revue GONG ou L’ours dansant, mensuel en ligne (gratuit) dont le premier numéro est paru en octobre dernier.

Et même si nous quittons ces formes « japonisantes » la très belle Revue Méninge propose beaucoup de textes « courts » dans ses pages. Elle est également disponible gratuitement, puisqu’il semblerait que c’est la tendance, en format pdf.

Le « court » est en vogue. Je ne m’en plains pas. Certains poètes travaillent sur le format twitter. Et pourquoi pas ? Tant que cette approche reste un possible et non un mal du siècle. Cette mode va de pair avec l’inscription de l’acte de lire dans un compartiment – temps restreint au profit des autres compartiments – temps (travail, famille, patrie) qui nous assujettissent. Ne peut-on prendre le temps de se plonger dans un paysage marin, une ode, une ballade aux frères humains dont la période dépasse les quelques secondes de l’instantané ?

Encore une fois, je n’ai rien contre cette approche et ceux qui me connaissent et me lisent savent qu’elle est inhérente à mon travail même si, ici, j’ai largement dépassé les 280 caractères autorisés par la modernité des supports actuels (et par l’attention possible des lecteurs ?). Toutefois, doit-on se rendre ? Ne peut-on imaginer un militantisme pour une augmentation du temps consacré à la lecture, à la lecture poétique, quel que soit le format du poème, plutôt qu’un militantisme pour des formes brèves « dans un monde ultra connecté » qui est un combat déjà gagné non pas pour la littérature mais pour les autres « compartiments – temps ? Réduire la proposition poétique aux courts n’est-ce pas augmenter, de facto, la disponibilité du cerveau pour les restes de nos contingences ? La découverte d’une écriture doit-elle dépendre de la longueur du texte ? Ne peut-on imaginer redécouvrir les joies de la « slow read » comme on apprécie le « slow food » initié en Italie ?

Voici de quoi ouvrir le débat, non ?

Quoiqu’il en soit, la liberté de Stéphane Bataillon guide les destinés de GUSTAVE. J’y ai pris mon plaisir de lire dans sa forme de lettre puis dans sa forme magazine. J’ai apprécié l’ouverture, l’arrivée de nouveaux auteurs, sans école, sans dogmatisme, juste une bande de po(è)tes qui aime à publier aux mêmes endroits, aux mêmes moments. Cela crée, croyez-moi, des souvenirs. J’aimerai le futur de GUSTAVE comme j’aime son présent et lorsque je regarde ces deux dernières années, je sais, je sens que d’autres voies, d’autres voix seront explorées. La poésie n’est-elle pas, comme la vie, une boite de chocolats ?