J’aime à
lire comme une poule boit,
en relevant fréquemment la tête, pour faire couler.
Jules Renard – Journal (4 février 1894)
J’aime à
lire comme une poule boit,
en relevant fréquemment la tête, pour faire couler.
Jules Renard – Journal (4 février 1894)
Les gens qu'on aime sont immortels
1986, l’Assemblée Nationale s’ouvre aux députés du Front National. Les paroles et les actes se libèrent. Le racisme quotidien n’a plus de honte, les discours haineux sont légitimés. Mais cela n’est rien comparé au désespoir que traine notre héros, si héros il y a, car il lui reste la nuit, sale et poisseuse, et les chiens écrasés, débarqués par fourgon au commissariat du 9ème. Il y cherche sa pâture. C’est son métier, les chiens écrasés. Journaliste ? Non. Fouille-merdres, juste fouille-merdres. Les mains pleines d’histoires qui finissent là, dans la cage. Elles lui ressemblent. Elles sont cassées, puzzles à réinventer.
Qu’a-t-il d’autre à faire qu’à vivre la vie des autres ? Et recommencer chaque soir, en écrire le pus et la charogne, rubrique fait divers, pour ceux que le malheur inspire. Il ne s’aime pas.
Mais comment pourrait-il s’aimer puisque les gens qu’on aime sont immortels ?
Les gens qu'on aime sont immortels
1986, l’Assemblée Nationale s’ouvre aux députés du Front National. Les paroles et les actes se libèrent. Le racisme quotidien n’a plus de honte, les discours haineux sont légitimés. Mais cela n’est rien comparé au désespoir que traine notre héros, si héros il y a, car il lui reste la nuit, sale et poisseuse, et les chiens écrasés, débarqués par fourgon au commissariat du 9ème. Il y cherche sa pâture. C’est son métier, les chiens écrasés. Journaliste ? Non. Fouille-merdres, juste fouille-merdres. Les mains pleines d’histoires qui finissent là, dans la cage. Elles lui ressemblent. Elles sont cassées, puzzles à réinventer.
Qu’a-t-il d’autre à faire qu’à vivre la vie des autres ? Et recommencer chaque soir, en écrire le pus et la charogne, rubrique fait divers, pour ceux que le malheur inspire. Il ne s’aime pas.
Mais comment pourrait-il s’aimer puisque les gens qu’on aime sont immortels ?
Les cent tribus
Moha ne pense pas, n’écrit pas, ne compte pas comme nous. Chaque seconde, chaque minute, chaque pluie sont des instants de vie. Chaque objet a une raison d’être, est animé au sens premier du terme, génère du mouvement, de la vie, et nous aide à aimer, à nous parfaire.
Moha ne parle pas, il raconte. Son verbe traduit l’arbre à palabres, la foison de branches, l’épaisseur du feuillage, de la langue. Il respire l’époque, expire les mots, et son souffle est rythmes. Les mots ne sont que des reflets qui tendent à décrire le monde, créer des liens :
Que cela soit ! Et cela est.
Le rapport à Dieu est tout entier ici ; littéral et non religieux ou politique. L’évidence comme sont évidents les cinq éléments. Ni filtre, ni gouvernance, il dit « mille trois cent quatre-vingt-seize lunes » et nous les voyons consteller la nuit.
Dans son quartier, Moha, parce qu’il vient du quartier, vit comme vous, comme moi. Peu savent qu’il ne lit pas le monde avec les mêmes lettres que nous, peu savent que Moha est le frère de Kemal, l’enfant du Prophète, le père des cent tribus. Mais quand il prend la parole, lorsqu’il s’invite à votre table, tous le reconnaissent à cette capacité qu’il a de conter d’étranges souvenirs à venir.
Oui, Moha est un conteur qui écrit l’allitération de nos vies. Il aurait pu être chanteur, slameur, rappeur, il a choisi la prose et le rythme de la virgule, du point en haut, de la respiration sourde. Il a choisi la forme de la merveille, histoire de nous inciter à découvrir nos vies.
« Les cent tribus » regroupe plusieurs contes écrits par Moha Terzi dans les années ’90. L’ensemble raconte le périple du peuple Halamin, tribu nomade aux confins des déserts. Publiés par différentes revues (Kaleïdon, Ricercare, Écriture, …) ou en « tiré-à-part » (Beth Olam, Tol’ed) certains de ces contes ont été primés comme « Le tombeau du Tigre », lauréat du prix Infonie en 2001.
En extrait : Les chiens de Şmyř – Texte intégral.