Toute poésie destinée à n´être que lue et enfermée dans sa typographie n´est pas finie.
Elle ne prend son sexe qu´avec
la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l´archet qui le touche.
Léo Ferré – « Préface » in Poètes … Vos Papiers ! (1956)

Toute poésie destinée à n´être que lue et enfermée dans sa typographie n´est pas finie.
Elle ne prend son sexe qu´avec
la corde vocale tout comme le violon prend le sien avec l´archet qui le touche.
Léo Ferré – « Préface » in Poètes … Vos Papiers ! (1956)

« De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l’Impair
Plus vague et plus soluble dans l’air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. »

Toute ma vie, toutes mes envies sont là, dans ces quatre vers, musiques et impairs, vagues et solubles, légères, si légères. Il n’y a rien que je ne fasse qui ne soit guidé par un rythme qui n’est, chaque fois, ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre. Heureusement.

La musique m’accompagne depuis mes dix, douze ans, les colos de mon enfance où nous chantions Brassens, Auffray, Ferrat, Moustaki, Barbara, Piaf, Reggiani, Graeme Allwright, Brel et tant d’autres, chants de colos que nous savions par cœur et qui nous formaient. Politiquement. Socialement. Humainement. J’y ai découvert la poésie, Prévert, Baudelaire, Rimbaud, Aragon. Là encore, la liste serait longue, de Malicorne adaptant Hugo à Julos Beaucarne, où Ferré et tous ses albums consacrés aux poètes, ils furent tous de mes parents, éducateurs en diable d’une littérature ouverte sur le monde.

Puis l’adolescence et la découverte de la musique symphonique, Dvorak, Bruckner, Beethoven, les grands romantiques, les opéras, Wagner, Monteverdi, Mozart, évidemment, Mozart et son Requiem. Dans le même temps les Who, Scorpions, Led Zep, Marillion, Deep Purple, Santana, Hendrix, et mes premières fêtes de l’huma, Ferré, Vasca, Ribiero, Francesca Solleville, … La liste est et reste ouverte. Je n’ai jamais choisi, j’écoute tout. Pas de clocher, pas d’école. Il faut juste que cela me parle, que cela me vibre. Que le sens raisonne ma tête, que le rythme résonne mon corps. 

Je me souviens qu’à seize ans, j’étais à Göttingen et je m’étais engouffré dans un cinéma permanent qui avait programmé Woodstock, le film documentaire de Michael Wadleigh. J’ai vu les trois séances. J’étais bien. Ma famille d’accueil s’inquiétait un peu mais j’étais bien. Pas envie de sortir de cet univers. Quelques mois après, j’ai revécu cette sensation, d’abord avec Tommy puis avec The Rocky Picture Show, sortis tous deux la même année. Et puis, il y a eu Starmania, juste générationnel, The Wall et la tétralogie wagnérienne conduite par le couple mythique Boulez – Chéreau, que je n’ai pas vu tout de suite mais heureusement il existait une captation.

J’ai une « Pile à écouter » comme j’ai une « pile à lire » ou une « Pile à Voir », une vie, ma vie, n’y suffira pas. Je ne sais pas faire deux choses à la fois. Je ne peux pas finir ce texte et écouter de la musique. Autrement, le rythme de mes phrases empruntera le rythme de ce que j’écoute. Et ne me parlez pas d’écouter Cosi fan tutte en lisant Philip Roth, Erri de Luca ou Balzac. C’est non seulement incompatible mais incongru. La musique est tout sauf un bruit de fond. A peine puis-je conduire sérieusement en écoutant Charlélie ou Jonasz tellement l’envie me prend de chanter avec (à côté) d’eux.

Alors, pour finir cette petite mise en bouche, qui était censée vous présenter mon travail et qui s’est arrêtée en chemin sur mes plaisirs, bouclons la boucle avec l’art poétique de Verlaine qui me parle tant et me guide bien au-delà de mes écrits.

« De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu’on sent qui fuit d’une âme en allée
Vers d’autres cieux à d’autres amours. » 

PRISES ET REPRISES DES AMI-E-S - collectif

Candace aux perles limpides - Mario Bonny

Candace aux perles limpides (Philippe Milbergue / Mario Bonny)

Mario est une personne extraordinaire, au sens plein du terme, avec toujours de multiples projets en route, et qui, chance pour moi, aime ce que j’écris. Quel plus grand bonheur pour un écrivain d’avoir un lecteur inconditionnel ? Deux lecteurs ?

Un jour de septembre, entre deux sessions de travail sur « les suites espagnoles », il m’appelle et me dit qu’il vient de terminer de lire « L’hymne à la fête » et qu’il voudrait bien « faire quelque chose » avec. Comme je le connais, je lui dis qu’on a un peu de temps devant nous et qu’il faudrait d’abord boucler le projet des Suites.  Bien évidemment, deux jours plus tard, je recevais cette version de Candace aux perles limpides. Que dire si ce n’est que j’aime ?

Je n’ai pas eu le temps de la reprendre. Je ne suis même pas certain de le vouloir, la voix de Mario collant si bien à ce rythme. Bien sûr, il s’agit d’une version de travail, il y a encore quelques accroches et des tempos à affiner mais, en attendant une nouvelle prise, je trouvais dommage de laisser cette interprétation dans nos disques durs.

J’espère que vous aimerez.

Comme toi - Gwenn Benoist

Comme toi – Gwenn Benoist (Philippe Milbergue / Philippe Milbergue – Guitare : Mario Bonny)

« Comme toi » est une chanson écrite à l’époque où j’écumais les bars, « chittara in mano » comme disait Graziano, avec des compagnons d’acoustique m’accompagnant dans mes fredaines. Le temps de mes 20 ans, des cachetons et des chapeaux. J’écrirai sans doute une chronique sur ces années où le socialisme n’était pas libéral, le temps de Maurois avant le temps de Fabius, où j’attendais la mort qui ne vint pas.

En fait, je crois bien avoir déjà écrit quelque chose là-dessus. Dans « L’anamnèse » peut-être ?

Ceci étant dit, Gwenn a eu la gentillesse de choisir ce titre et de nous offrir une interprétation qui vaut largement, très largement, ce que j’en faisais. D’ailleurs, depuis, je ne la chante plus.

Je vous laisse écouter.

Fille d'un soir - Yoann Linotte

Fille d’un soir – Yoann Linotte (Philippe Milbergue / Philippe Milbergue – Guitare : Mario Bonny)

Les Morfals se réunissent régulièrement aux rythmes des « Pâtes du dimanche » que nous organisons depuis plus de 10 ans maintenant. Un week-end où nous étions, Mario et moi, en session de travail pour « les suites espagnoles », j’ai eu l’idée, stupide diront certains, de proposer aux Morfals de reprendre mes « vieilles » chansons. J’ai sorti mes carnets comme on sort les livrets de Paul Beuscher pour chanter en fin de repas et ceux qui le souhaitaient ont choisi une de mes ritournelles.

La règle de ce jeu, car il s’agissait juste d’un jeu pour nous tous, était simple : Ils choisissaient. Je la chantais une fois. Ils la reprenaient.

Yoann n’hésita quasiment pas. « Fille d’un soir » lui plaisait.

Il n’y a eu qu’une seule prise. Je redécouvrais cette chanson. Il apportait un détachement, mais un détachement mélancolique que je n’avais jamais imaginé. Mon blues était pesant, genre « je veux mourir, la vie est trop méchante ». Yoann gardait une distance plus grande, faite d’une certaine fatalité qui, quelque part, « allégeait » l’histoire.

C’est ainsi, me semble-t-il, que les chansons vivent. D’interprète en interprète, la voix, la tonalité, le souffle, modifie le sens. C’est une question de regard, une même histoire peut se lire de plusieurs façons. La lecture de Yoann, différente de la mienne, me plait bien. Et je crois qu’il a raison et que j’ai tort, même si je suis « l’auteur » de cette histoire. Parfois, les choses nous échappent. Et c’est très bien ainsi.

Reposer ton imper - Philippe Milbergue ft. Mira

Reposer ton imper – Mira (Philippe Milbergue / Mario Bonny)

Parfois les processus de la création prennent des chemins étrangement étranges et lorsque je raconte cette anecdote, j’entends souvent une petite voix me dire « tu déconnes ? » ou « arrête ! Ce n’est pas possible ! » et pourtant rien n’est plus vrai que ce que vous allez lire.

Pour contextualiser un peu cette histoire, il faut que vous sachiez que nos séances de travail sont aussi des occasions de nous retrouver les uns et les autres chez les uns et les autres. Mario a un matériel d’enregistrement portatif qui nous permet de fixer les premiers sons et nous pouvons ainsi travailler entre deux repas ou manger entre deux prises, au choix.

Là, nous avions fini. Valérie bouclait la valise et je finissais mon huitième café. J’attendais pour charger le coffre en pensant aux titres mis en boite lorsque Mario sortit de son « bureau – studio » pour me faire écouter une ligne, petite ligne mélodique d’une trentaine de mesures. Juste la ligne mélodique comme on joue « jeux interdits » quand on est môme (ou pas…).

« T’en penses quoi ? »

Je lui dis que je trouve la ligne chantante, équilibrée, et que cela vaudrait le coup de la travailler.

« Tu as un texte ? »

Mario ! Sérieux ?! On part dans cinq minutes ! Et lui de continuer sa ritournelle : tatata tata tatata tata 

Et puis, à l’écouter quelques mots me viennent : Cette lave brune de nos rêves d’hier … Et Mario de continuer en ajoutant quelques fioritures à son picking et moi « attends ! attends ! j’ai quelques choses… ».

Je savais maintenant que « reposer ton imper », poème écrit quelques trente ans avant ce jour, allait devenir une chanson. J’ai imprimé le texte. Nous l’avons lu puis j’en ai chantonné un bout, Mario a adapté la ligne. Une, deux, trois répétitions plus tard, nous avions une première prise. Le tout n’avait pas duré plus d’une demi-heure mais maintenant c’est Valérie qui m’attendait.

Quelques jours plus tard, j’ai demandé à Mira si elle voulait bien interpréter ce titre. Il me semblait, il me semble toujours, un peu au-dessus de mes capacités vocales, les aigus m’ont toujours trahi.

Reposer ton imper est le 4ème titre de l’album « Mes amours noires ».