Un repas de Noël

La bouffe ! La bonne bouffe ! Celle qui nous déglace les papilles, nous réchauffe le coeur, ouvre la discussion, partage, partage et relie, alimente le corps et l’esprit, est, sans aucun doute, celle qui me passionne.

Il suffit d’un rien, d’un peu de chaleur, d’une découpe fine, d’une assiette joliment ordonnancée et de convives, admirables ami(e)s qui subliment ce court instant de vie.

Ce rien nous éloigne un instant du flux continu des faits divers et autres actualités qui, jour après jour, nous font douter de la condition humaine. Ce rien nous rapproche, l’un, l’autre en une sorte de communion sans sacrement, un rite païen, dionysiaque, où nous louons le travail des ostréiculteurs, maraîchers, éleveurs, pêcheurs et autres viticulteurs qui, chaque matin, se lèvent pour labourer, récolter, cultiver les richesses de notre terre.

Bien sûr, il y a des débordements, des imbéciles, des mécréants, des pesticides, des génocides – les dauphins en boîtes de thons ! –, des vaches folles, des productions intensives … Il y a aussi des gens qui respectent la matière, la terre et l’eau, le cycle de la vie et, à tout prendre, quand je passe à table, j’aime plutôt convier ces derniers. J’aime les remercier pour cette bouffe, cette bonne bouffe que nous faisons grâce à eux.

C’est un peu dans cet état d’esprit que je souhaitais vous offrir quelques une de mes recettes ; Je ne suis pas un expert, non, mais ayant à charge de nourrir ma petite famille depuis plus de cinq lustres, j’ai eu l’occasion de réinventer l’eau chaude, de découvrir le mélange subtil du citron vert et du lait de coco, d’aménager des recettes aux goûts des uns, de répondre aux sollicitations des autres et de m’asseoir à des tables où, franchement, vous auriez eu envie d’être ! (Enfin, j’espère…)

C’est ainsi qu’en 2001, Jacques m’invita à cuisiner un repas de noël pour toute son équipe d’éducateurs, d’intervenants et pour quelques uns de ses « commanditaires », « supérieurs » et autres « financeurs » et néanmoins gens de bonne compagnie.

Sans partir dans des digressions sans fin, Jacques dirigeait, à l’époque, un Espace Dynamique d’Insertion et l’idée était que tous les convives participent à la création des plats pour, éventuellement, pouvoir reproduire certaines recettes avec les jeunes dans le cadre des ateliers.

J’avais carte blanche et nous étions nombreux… J’avais en charge les plats salés, le sucré étant déjà commandé par ailleurs. Cela tombait plutôt bien, la pâtisserie étant relativement longue à faire et je ne me voyais pas trop allumer les fourneaux à trois heures du mat’. Je pris le parti de travailler les produits de la mer et les légumes. J’aurais pu choisir une pièce de boeuf, un baron, un truc « facile » à mettre au four et laisser cuire… Je le fais parfois, c’est bon (aussi) mais cela ne correspondait pas à ce que Jacques souhaitait. Et puis, je trouvais plus sympa de faire découvrir (peut-être) de nouvelles manières de cuisiner le poisson, les fruits de mer, les champignons, le fenouil… Je décidais de servir à l’assiette (comme d’habitude 10 fois trop !) des petites portions permettant de varier les goûts et les textures.

Nous composâmes trois grandes assiettes, la dernière étant le plat principal : un grand aïoli dans la pure tradition méditerranéenne.

En cuisine, j’avais la chance d’avoir des dizaines de mains qui m’aidèrent à plucher, couper, cisailler, presser, émincer… et, le petit blanc aidant, chacun y allait de sa manière, son anecdote, sa dernière bouffe, son appétit grandissant – le petit doigt dans la sauce, l’entame délaissée dévorée, histoire de se mettre les papilles en alertes –, sa joie d’être là et le plaisir que nous allions prendre.

Ah, le brassage ! Il n’y a que cela de vrai ! Les échanges, la découverte, le partage ! Ce n’est pas pour rien que notre géographie est bordée de toutes ces traditions culinaires qui nous enrichissent. L’Espagne et, plus loin, le Portugal, le Maghreb et l’Afrique, l’Italie qui introduit l’ex Yougoslavie, la Grèce, la Turquie jusqu’au Moyen Orient, la Suisse et l’Allemagne portes des Balkans et de la grande sœur russe – oui ! je suis tchekhovien dans l’âme ! –, la Belgique et le nord, puis la perfide Albion, celle qui ne perçoit l’Europe qu’en dépendance du Commonwealth, celle du Brexit et de la guerre de cent ans, notre si vieille ennemie et pourtant partenaire qui nous ouvre sur l’Inde et par là l’Asie Orientale. Bien sûr, nous n’avons pas de frontière directe, ou indirecte, avec les Amériques mais, pour le Sud, l’Espagne et le Portugal sont de bonnes introductions et pour le Nord, mon dieu ! Que dire ? En dehors de la Louisiane et de la cuisine Cajun, peut-on vraiment considérer que les américains ont une gastronomie notable ? 

Chacun de nos voisins nous enrichit et le couscous français est une réalité aussi irrévocable que la pizza auvergnate (lardon, crème fraîche, patates sautées et bleu d’auvergne). 

Dans cette équipe d’amateurs, il y avait de sacrés cordons, croyez-moi ! J’appris autant que je transmis. Qui, à propos de ma façon d’épicer, dériva sur l’usage qu’elle faisait de tels ou tels condiments ? Qui, pour émincer les oignons, me montra sa pratique ? Je ne sais plus. Mais il m’en reste, comme on dit.

A 11 heures, nous étions en retard. A midi, nous étions prêts.

Nous servîmes, pour ce repas Saint Sylvestrien, 9 recettes différentes, hors fromages, vins et desserts.

Les assiettes étaient composées comme suit :

Prime : (Entrée froide)

Cornet de saumon fumé aux crevettes pamplemousse

Tazard au lait de coco

Moules à la Valencienne

Confit de poivrons aux champignons de Paris

Kosslow de Fenouil

Seconde : (Entrée chaude)

Pannequet de filet de Rouget

Calmars farcis à la mousseline de carottes

Piperonata sansa pomodore

Tierce :

Grand aïoli

Ce fut un moment que je n’oublierai pas. Un de ces instants de vie où l’on apprécie d’être né. Le repas dura, vous vous en doutez, jusqu’au goûter où quelques chocolats accompagnèrent le café.

Ah la bouffe ! La belle et grande et généreuse ! Celle qui vous donne des poignées d’amour ! Qu’y a t’il de plus beau que cette antichambre ?

Juste pour le plaisir, et parce que c’est simple à faire, laissez moi vous donner la recette des Moules à la Valencienne :

Ingrédients : (pour quatre en entrée)

500 grammes de moules décortiquées surgelées

300 grammes de blanc de poireaux

2 petites tomates rondes

1 cuillère à café de safran turc

1 cuillère à café de safran des indes

1 cuillère à café de gingembre moulu

2 pincées de poivre

1 pincée de sel fin

3 gousses d’ail

10 cl d’huile d’olive

10 cl de vinaigre de cidre

le jus de 2 citrons jaunes

Préparation :

Découpez les blancs de poireaux en rondelles de 2 millimètres environ. Emincez l’ail en chips fines. Epépinez les tomates et découpez la chair en cubes (5 millimètres environ).

Faites chauffer l’huile d’olive avec le safran turc, le safran des indes, le gingembre, le poivre et le sel. Quand elle est chaude mais non fumante, (les épices ne doivent absolument pas brûler), faites transpirez à feu vif l’émincé d’ail et de poireaux environ 3 minutes en remuant. Ajoutez les dés de tomates, réduisez le feu et laissez évaporer l’eau de végétation.

Augmentez le feu, ajoutez les moules, faire sauter rapidement (2 minutes), déglacer au vinaigre de cidre. Poursuivre la cuisson (3 minutes environ) à feux doux.

Hors du feu, ajoutez le jus de citron et laissez refroidir.

A servir froid en apéritif ou en entrée (accompagnée d’une roquette c’est magique !)

Bon appétit !